L.B. : Et du coup de Mertvecgorod, vous voyez ça comment la situation en France ? Les médias en parlent ?
C.S. : Ho que si ça existe, gros emploi sur le forum Technikart en 2004-2005 ! Pas trop, nous, tu sais, le Bloc de l’Ouest, on s’en bat un peu lek.
L. B. : Ouais puis Poutine est tout content d’avoir fermé les frontières au tout début. J’comprends j’comprends.
C.S. : Mais enfin, on a quant même enregistré une hausse des tarifs d’achat de visa au marché noir – à croire que les gens préfèrent le cancer au Covid-19 😀
L.B. : Y a moyen qu’ils ramènent le virus en RIM
C.S. : Les habitants se rendront même pas compte qu’ils sont infectés !
L.B. : J’imagine… Y a combien d’hôpitaux ?
C.S. : C’est difficile à mesurer, c’est organisé par rajon et le nombre de médecins et de lit d’hôpital par habitant est fonction du budget général du rajon. Vaut mieux pas tomber malade dans le rajon 4, par exemple
L.B. : Nous on est super bien lotis en France avec la sécurité sociale mais niveau manque de personnel et de lits dans les hôpitaux, le Covid-19 est une bonne démonstration.
C.S. : Ici, de toute façon, les informations seraient tenues secrètes, ou fausses, ou les deux.
L.B. : Vu de la RIM ça doit être taré la sécurité sociale.
L.B. : Ici il y a des gens qui crient au complot.
C.S. : Je te rappelle qu’ils ont connu le communisme – ce qui paraît taré à certains, c’est d’être obligé de payer le gaz, l’électricté et le loyer. Staline, reviens !
C.S. : (Nous, c’est pas la peine de crier au complot)
L.B. : Tu préfèrerais un retour du communisme ?
C.S. : Moi, en tant que néo-habitant, j’ai pas vraiment d’avis, mais pas de gens regrettent le bon temps, c’est sûr.
L.B. : Il y a des librairies en RIM ?
C.S. : Bien sûr, la culture est très développée – et la culture underground aussi, d’ailleurs, avec un retour en force des samizdat.
L.B. : Il y a de la censure ?
C.S. : En théorie, non. Nous ne sommes pas en Russie. Mais il y a des sujets tabous. Selon ce que tu écrits sur Andropov, par exemple, tu peux être un auteur d’un livre posthume.
L.B. : Haha je vois…
L.B. : En théorie il n’y en a jamais
C.S. : Sur le féminicide, par exemple, pas grand monde ne s’y risque à part un journaliste.
C.S. : Sur le marché officiel, non, pas trop.
L.B. : Il rencontre des problèmes ? Ou personne ne veut l’entendre ?
C.S. : C’est plus compliqué. Certains de ses livres sont de vrais succès de librairie, édités par des maisons d’édition importantes, mais il vit planqué.
L.B. : Il a écrit plusieurs livres sur le sujet ? Tu le connais ?
C.S. : De la même manière, un des activistes les plus opposés au gouvernement s’exprime sans problème ni censure sur Rutube, on le trouve même des fois dans des boîtes de nuit à la mode, mais il est pourtant menacé de mort par les forces spéciales.
C.S. : Non, pas personnellement, et je ne parle pas encore assez bien russe pour le lire.
C.S. : Il est en train de préparer un énorme bouquin, apparemment, sur les liens entre le féminicide, le crime organisé, le trafic de déchets et le gouvernement. Des extraits paraissent parfois sur son blog – mais c’est en Russe, du coup…
L.B. : Waw. Ça fait un sacré truc… Lui aussi est menacé de mort par les forces spéciales ? Tu progresses quand même en russe ?
C.S. : Pas officiellement. Mais on raconte qu’il change quand même régulièrement de domicile. Assez peu, pour l’instant. C’est dur !
C.S. : Il faudra que tu viennes voir tout ça par toi-même !
L.B. : Ici on a besoin (depuis hier) d’une autorisation écrite pour circuler dehors (qui est assez bidon). Il y a des quartiers où vous n’avez pas le droit de circuler ?
L.B. : Haha je ne sais pas. Je ne voyage plus trop.
L.B. : Et puis je ne parle pas un mot de russe à part trois phrases.
C.S. : Pas le droit, non, mais plusieurs sites indiquent chaque jour les quartiers où il est déconseillé de se rendre à cause de la pollution (mais les gens nés ici n’y prêtent pas tellement attention). Il y a davantage de francophone et d’anglophones que je l’aurais cru !
L.B. : Ah oui ? Qui ont quel genre de parcours ?
C.S. : Soit des étudiants, soit des gens qui se sont installés ici pour diverses raison, soit les gens des classes éduquées.
C.S. : Les vieux, eux, ne parlent que russe (et quelquefois polonais)
L.B. : Ah ouais, des étudiants je n’aurais pas pensé.
C.S. : Qu’il y en ait, tu veux dire ?
L.B. : Je crois que j’ai plein d’a priori sur la RIM
C.S. : Haha, en effet ! 🙂
L.B. : Oui, des Français qui partent en RIM. je n’en connais pas autour de moi
L.B. : Tu voulais dire des étudiants de Mertvecgorod ?
L.B. : J’ai lu trop vite.
C.S. : Non, c’est plus une destination touristique pour les habitants de pays de l’Est.
C.S. : Oui
L.B. : Au temps pour moi.
L.B : Et la pollution, tu la ressens physiquement ?
C.S. : Ah oui ! J’ai trouvé un appart avec une super climatisation, heureusement ! Mais dehors, c’est atroce. J’ai l’impression de fumer vingt clopes par heure.
C.S. : Sans parle du ciel chelou
L.B. : Oui je me figure une espèce de truc tout noir style Mordor.
C.S. : Mais le plus frustrant c’est la bouffe, beaucoup de trucs me maquent.
C.S. : Oui, c’est un peu ça – un genre de Mordor un jour de mauvais temps.
L.B. : Tu manges quoi là-bas ?
C.S. : Beaucoup de riz, de la nourriture chinoise, des trucs comme ça. La viande fraîche est hors de prix, par exemple. Mais il y a beaucoup de charcuterie. Très peu de fromage. Beaucoup de junk-food, de trucs surgelés.
C.S. : Y a des bons restos mais ils sont bien trop chers. Il y a un gouffre entre la bouffe de crevard (celle que je peux me payer) et les trucs de qualité.
L.B. : Tu cherches du travail ?
C.S. : Non, de toute façon j’ai encore un visa touristique, j’ai pas le droit de travailler.
L.B. : Tu regrettes pas d’être parti là-bas ? Ça doit faire un foutu changement. Et le quotidien a l’air difficile.
C.S. : La ville est vraiment immense avec des architectures vraiment étonnantes, des fois, donc, non, je suis plutôt content. J’aime quand même beaucoup m’y balader des heures, et prendre le métro.
C.S. : Le quotidien, est austère, c’est sûr, mais c’est plus parce que je suis plus pauvre ici qu’en France. Il y a des gens qui vivent plutôt bien.
L.B. : Oui ça a l’air immense.
C.S. : Enorme !
L.B. : Oui enfin ça n’a pas l’air d’être la majorité. Les conditions de travail ont l’air horribles.
L.B. : Tu pourrais m’envoyer des photos ?
C.S. : C’est comme dans tous les anciens pays d’URSS : il n’y a pas vraiment de classes moyennes mais un fossé assez important entre les précaires et les très riches. Mais ceux qui bossent s’en sortent un peu à l’américaine, paradoxalement : ils cumulent deux ou trois boulots. J’en ai pas encore prises, mais la prochaine fois, oui, avec plaisir ! (Et pour te dire à quel point c’est immense, je viens de calculer, c’est quinze fois la taille de Paris…)
L.B. : (quinze fois ? Bordel, j’ai du mal à imaginer.) Merci pour les photos. Je dois y aller mais j’espère qu’on reparlera bientôt. (J’ai du temps haha.)
C.S. : (Moi aussi ! J’ai pas encore traversé en métro d’un bout à l’autre, mais ça doit prendre des heures !)
C.S. : D’accord, à très vite ! 🙂
L.B. : Oui, à très vite 🙂
[Merci à Luna Beretski pour avoir eu l’idée de ce petit JdR improvisé, et peut-être à bientôt pour la suite !]